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La justice administrative juge le Flashball comme une arme dangereuse – Mediapart

|  Par Louise Fessard

Alors que deux adolescents ont vraisemblablement été blessés le14 juillet par des tirs de lanceurs de balle de défense, le tribunal administratif de Nice a reconnu pour la première fois le 9 juin 2015 qu’il s’agissait d’une arme « comportant des risques exceptionnels ». C’est la seconde condamnation de l’État français dans une affaire de Flashball.

Le 5 décembre 2010, match OGC Nice – OM au stade du Rey. Tribune sud, des supporters du club niçois lancent des projectiles aux forces de l’ordre. En marge de l’affrontement, Guillaume Laurent, un supporter niçois, alors âgé de 23 ans, est touché par le tir de Flashball d’un policier. Grièvement blessé à l’œil gauche, le jeune homme a perdu six dixièmes d’acuité visuelle.

Guillaume Laurent, le supporter blessé, filmé en mai 2011 par Nice Matin © Nice matin

Le 28 octobre 2014, dans une première décision, passée jusqu’ici inaperçue, le tribunal administratif de Nice a condamné l’État, considéré comme « responsable des graves dommages qu’ils subis résultant de l’usage d’un lanceur de balles de défense de type flash-ball [sic] ». Il s’agit d’une décision inédite, car en principe, l’État ne peut être condamné qu’en cas de faute lourde commise par un de ses agents dans l’exercice de ses fonctions.

Dans ce cas, le tribunal a considéré que l’usage d’un Flashball, « eu égard au caractère imprécis de cette arme à feu et à sa puissance », comportait des « risques exceptionnels pour les personnes et les biens » et engageait donc la responsabilité de l’État, malgré l’absence de faute lourde commise par le policier tireur. « Les dommages subis […] excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’exercice de ce service public », écrivent les juges niçois, reprenant une jurisprudence de 1949. Celle-ci était jusqu’alors réservée à l’usage d’armes létales, comme la mitraillette et le pistolet. Malgré le fait, que le supporter était membre de la Brigade sud de Nice, club d’ultras dissous et qu’il ait été contrôlé à deux reprises par la police lors d’incidents en marge de matchs de l’OGC Nice, aucun élément « n’établit qu’il faisait partie des supporters ayant affronté les forces de l’ordre le 5 décembre 2010 », précise la décision du tribunal. Précisons de notre côté que Guillaume Laurent n’a aucun casier judiciaire.

Sauf appel du préfet des Alpes-Maritimes, le Flashball superpro, arme à feu classée en catégorie B (armes soumises à autorisation), fait donc désormais partie aux yeux de la justice administrative des armes dangereuses susceptibles d’engager la responsabilité de la puissance publique. Cette décision concerne a fortiori sa version plus moderne, le lanceur de balle de défense 44 mm (dit LBD 40), puisqu’il s’agit d’une arme encore plus puissante, classée en catégorie A (avec les armes de guerre interdites à l’acquisition).

Le jeune homme, qui a dû abandonner son activité de pompier volontaire et ses rêves de devenir soldat du feu, avait réclamé 50 000 euros de préjudice. Le 9 juin 2015, après une expertise, le tribunal administratif de Nice a condamné l’État à verser au supporter 17 200 euros au titre des « souffrances endurées » et du «déficit fonctionnel permanent engendré ». L’État devra également indemniser la caisse primaire d’assurance maladie à hauteur de 150 euros pour les frais d’ophtalmologie engagés. « Guillaume Laurent passe actuellement un diplôme d’ambulancier mais il n’aura pas la possibilité de conduire à cause de sa vision », explique son avocat, Me André Bezzina.

Plus de quatre ans après la blessure de son client, l’avocat niçois ne cache pas sa joie. « Je suis très content, car ça n’a pas été un combat facile, dit-il. J’espère que cette décision fera jurisprudence pour les autres personnes blessées. » Après une plainte au pénal avec constitution de partie civile, le juge d’instruction niçois nommé avait prononcé un non-lieu, le 15 janvier 2013. « On envoie des gens devant le tribunal pour des coups de canif sur le port, mais pas pour un coup de Flashball dans l’œil, car il y a toujours derrière cet acte commis par un policier un semblant de légalité », constate Me Bezzina.

C’est la seconde fois que l’État est condamné à indemniser la victime d’un tir de lanceur de balle de défense. Le 17 décembre 2013, le tribunal administratif de Paris avait condamné la préfecture de police à verser 7 200 euros à un jeune homme blessé place de la Bastille, le 21 juin 2009, lors de la fête de la musique. Mais seule, la « responsabilité sans faute pour cause d’attroupement » avait été retenue, pas le fait qu’ils s’agissait d’une arme dangereuse.

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