Flash-ball : l’État condamné à indemniser une victime
L’État est pour la première fois condamné à indemniser la victime d’un tir de flash-ball sur la base de la responsabilité sans faute de l’État en cas d’attroupement de l’article L. 221-10 du code de la sécurité intérieure et non, comme le réclamait le requérant, sur celle du régime spécial de responsabilité du fait des armes dangereuses. TA Paris, 17 déc. 2013, n° 1217943/3-1
C’est, à notre connaissance, la première fois que l’État est condamné à indemniser la victime d’un « lanceur de balles de défense », plus communément appelé flash-ball, utilisé par un policier, en l’espèce lors de la fête de la musique de 2009, place de la Bastille, à Paris. La fête dégénérant, les policiers s’étaient, en effet, trouvés face à un groupe de personnes jetant des projectiles et armé de bâtons. Le requérant avait alors été blessé au visage et pris en charge par les sapeurs-pompiers. L’expertise médicale et balistique conclut postérieurement que la blessure était « compatible » avec une balle de défense. La préfecture de police avait néanmoins soutenu, dans sa décision de rejet de la réclamation préalable du requérant, que les forces de l’ordre n’avaient utilisé les flash-balls qu’à une heure plus avancée que celle à laquelle le requérant avait été blessé et ne pouvaient ainsi être la cause du dommage subi par ce dernier.
Les plaintes pénales n’ayant jusqu’à présent jamais abouti en ce domaine, le requérant, défendu par l’avocat Étienne Noël, préféra la voie d’une action en responsabilité devant le tribunal administratif. Il était ainsi soutenu que le flash-ball est « une arme dangereuse, présentant des risques exceptionnels lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’un rassemblement sur la voie publique », le régime spécial de responsabilité du fait des armes dangereuses étant, par conséquent, applicable. Si le régime de la responsabilité administrative pour faute demeure celui-ci de droit commun en matière d’activité des services de police, des cas de responsabilité sans faute sont également admis par le juge administratif. Il en est ainsi en cas d’inaction justifiée (CE 30 nov. 1923, n° 38284, Couitéas, Lebon p. 789 ; S. 1923. 3. 57, concl. Rivet, note Hauriou ; DP 1923. 3. 59, concl.) et, précisément, d’utilisation d’armes dangereuses (CE, ass., 24 juin 1949, n° 87335,Lecomte, Franquette et Daramy, Lebon p. 307
; S. 1949. 3. 61, concl. Barbet, note M. L. ; D. 1950. 5. chron. Berlia et Morange ; RD publ. 1949. 583, note M. Waline ; JCP 1949. II. 5092, concl. Barbet, note George ; pour plus de détail sur cette question, v. J.-F. Couzinet, Responsabilité sans faute de l’État pour un dommage causé par les services de police spéciale chargée de la protection des hautes personnalités, D. 1993. 161
).
Le tribunal administratif en décide autrement et substitue ses propres motifs à l’argumentation de la défense. Il pointe tout d’abord les discordances entre les affirmations des services de police quant à l’heure à laquelle ils auraient fait usage de flash-ball (00 h 30) et les fiches d’intervention des sapeurs pompiers établissant, au contraire, que plusieurs appels de personnes se disant victimes de ces tirs avaient été passés dès minuit. Dans ces conditions, le requérant « doit être regardé comme établissant avoir été blessé par une balle de défense tirée par un policier ». Quant au régime de responsabilité, le tribunal refuse néanmoins d’adopter le raisonnement du requérant. Il préfère, en effet, se fonder sur l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales (applicable aux faits de l’espèce et aujourd’hui repris à l’article L. 221-10, CSI), aux termes duquel « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens».
Les conditions de cette responsabilité sont avantageuses pour la victime : alors que la responsabilité sans faute de droit commun exige la démonstration d’un préjudice anormal et spécial, l’application des dispositions de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ne nécessite que la preuve d’un préjudice résultant de manière directe et certaine de crimes ou délits commis par des rassemblements ou des attroupements ou bien des mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre (CE, avis, 20 févr. 1998, Société Études et construction de sièges pour l’automobile et a., req. n° 189185, CE, 20 févr. 1998, n° 189185, Société Etudes et constructions de sièges pour l’automobile (ECSA), au Lebon p. 60 ; AJDA 1998. 1029
, note I. Poirot-Mazères
; D. 2000. 259
, obs. P. Bon et D. de Béchillon
; RFDA 1998. 584, concl. J. Arrighi de Casanova
; JCP 1998. II. 10062, note Moniolle). Dès lors, pour le tribunal, que les policiers étaient victimes de jets de projectiles, constituant des délits commis par violence par attroupement, « les conditions d’application de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales alors applicables [étaient] réunies ».
Cela permet aussi au tribunal de contourner la question de la classification des flash-balls…
Discussion
Rétroliens/Pings
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